Once upon a Time...
೨ This is not a fairytale... Or is it ?
Prologue : Le couvent
- Mademoiselle Von Eckstein, combien de fois devrais-je vous répéter que le couvre feu n’est pas une chose à prendre à la légère ? Me réprimanda sœur Brunehilde.
Prise en flagrant délit, je baissais piteusement les yeux. L’envie de les reposer sur la page entamée de mon livre encore ouvert était grande, mais l’autorité de la nonne d’autant plus.
- Veuillez me pardonner ma sœur, m’excusais-je sans oser croiser son regard réprobateur. Nous savions toutes deux que c’était loin d’être la première fois qu’elle me surprenait ainsi. Ce genre d’incartades au contraire se multipliaient progressivement à mesure que la vieille femme au grand cœur rechignait à me punir. Chaque fois un peu plus coupable, je testais ses limites.
- Mon enfant, soupira-t-elle après un long silence d’une éloquence qui me fit prédire le pire. Un jour viendra où vous nous quitterez pour rejoindre les votres. Ce jour-là, vous serez libre de faire ce que bon vous semble, sous la surveillance de notre seigneur. En attendant cependant, je vous demanderais d’être assez sage pour refermer ce livre et rejoindre vos camarades dans le dortoir.
Sur ces conseils à l’allure d’ordre direct, je mémorisais le numéro inscrit au bas de la page sur laquelle je m’étais arrêtée pour refermer le roman et le poser délicatement sur ma table de chevet. Je vis sœur Brunehilde hocher la tête, un sourire satisfait sur son visage ridé.
- Maintenant mon enfant, reposez-vous, dit-elle en m’escortant jusqu’à la porte de la chambre commune. Je m’apprêtais à ouvrir celle-ci pour pénétrer dans la salle avant que sa voix ne retentisse une dernière fois.
- Et n’oubliez pas jeune fille, ce moment que vous attendez tant ne saurait tarder.
La vieille dame contenait avec difficulté son émotion, tellement que je ne pus m’empêcher de me sentir désolée pour elle. Cependant, son chagrin n’aurait pu venir entacher mon allégresse à l’idée d’enfin pouvoir quitter ces lieux.
- Six mois, deux semaines et cinq jours, énonçais-je de tête, sans avoir à y réfléchir un seul instant. A cela, elle laissa échapper un rire silencieux.
- Comme vous le dites Mademoiselle. A présent, allez dormir. Je refuse d’avoir à vous réveiller demain pour la visite de la Mère supérieure.
A contrecœur, je consentis à rejoindre mon lit, et soufflai sur la bougie dont les flammes, quelques minutes auparavant, dansaient encore sur la couverture de cuir de mes précieux romans.
Un jour, me promis-je, moi aussi, je vivrais les aventures de mes héros favoris. Je serais une princesse enfermée au sommet d’une haute tour de pierre, une femme sans peur, guerrière et chasseuse de dragons. Je rêvais de découvrir le monde ; d’en faire partie. Je rêvais de mon prince charmant, qui m’attendait très certainement, dans un lieu dont j’ignorais encore l’existence. J’imaginais ma vie telle que je supposais qu’elle serait, une fois retournée à la demeure familiale, alors âgée de quinze ans. Serais-je accueillie telle une enfant prodigue parmi les miens ? Telle que la princesse que j’espérais devenir ?
Se souviendraient-ils seulement du portrait de leur unique enfant ? -Leurs traits étaient sans aucun doute gravés dans ma mémoire depuis mon plus jeune âge, leur image si vive à mesure que le moment tant espéré approchait. Oh que je rêvais de les prendre dans mes bras pour leur conter comme mes années au couvent ont été bénéfiques pour mon éducation ! Eux, bien entendu, me rapporteraient les dernières excentricités de la Cour, assis près du feu en dégustant une tasse de thé anglais -le préféré de Mère.
Oui ce serait grandiose, extraordinairement resplendissant, tel mes rêves les plus fous.
Je dirais alors adieu aux tuniques ternes, aux sermons et aux couvres feu ridicules. Je serais une dame du monde, après tout ! L’une de celles dont tous apprécient la compagnie, de celles qui sont invitées aux dîners et salons. L’une de celles dont les parents sont fiers. Que les femmes admirent, et que les hommes courtisent.
C’est ainsi les joues empourprées et les yeux rêveurs suite à cette ultime pensée que je fermais les yeux. Que de merveilles pourrais-je rêver encore !
Chapitre 1 : Histoires d'enfant
-C’est l’heure mademoiselle.
Soeur Harriet toqua trois fois sur la porte en bois grinçante, dans l’intention de me réveiller. Si cela n’avait pas été le cas depuis des heures, sans doute l’opération aurait fonctionné. Dieu seul savait que cela faisait un moment déjà que j’étais debout- interprétez cela comme un réflexe fortuit ou bien comme une réaction à la peur chronique que j’avais de manquer ce moment tant attendu. J’avais ainsi remué quelques temps dans mon lit, excitée et impatiente que j’étais avant de finalement me décider à en glisser discrètement, sans réveiller mes camarades encore plongées dans un sommeil profond. J’avais replacé les couvertures de façon à ne faire naître aucun soupçon et je m’étais agenouillée au pieds de mon lit afin d’ouvrir le fameux coffre qui m’avait été attribué lors de mon arrivée au couvent. Ainsi dissimulé des curieux, je m’étais permise de le rouvrir avant l’heure de mon départ, pour me remémorer ne serais-ce qu’un instant les derniers instants passés dans ce monde que je m’apprétais enfin à retrouver.
Au sommet se trouvait mon manteau de velours distinguable par la couleur caractéristique de notre famille. Carmin, il était reconnaissable par les nobles du royaume, et ce, de très loin. Je me souvenais encore comment Père avait l’habitude de dire que nos ancêtres avaient été bien peu sages de sélectionner une telle couleur quand le moindre aristocrate s’avançait à notre rencontre à la vue du fameux vêtement. Une fois l’avoir examiné en détail, je le posais par terre près de moi pour continuer mon inspection -mais le coffre ne contenait rien que je ne puisse désormais envisager de porter de nouveau. En effet, la plupart dataient de mon arrivée parmi les sœurs -les autres avaient confectionnées tous à des tailles variables, en prévision de ma sortie. Malencontreusement, un bref coup d’œil fut suffisant pour constater que ces tenues, bien que très élégantes était trop petites pour mon corps d’adulte. Nous étions tous relativement grands dans la famille, mais je pensais actuellement dépasser de taille tous les Von Eckstein une fois mes escarpins aux pieds. Aussi les reposais-je par dessus le manteau, en m’interrogeant sur le fait que Mère ait envisagé cette possibilité -sans doute n’aurait-elle pas pris de risque. Rares étaient les demoiselles rentrant au domicile familiale en tunique grise. Cela prouvait un manque de capital certain, et assurait une réputation de pauvresse parmi les habitants du royaume. Les seules que j’avais pu observer se compromettre ainsi étaient des bourgeoises de situation plutôt modeste dont la renommée n’aurait pas à en souffrir. Après tout, elles n’avaient même pas d’escorte ; et je doutais que Mère me fisse subir un tel affront en présence de notre cortège. Si je n’aurais pas rechigné contre un peu plus de simplicité, je n’étais pas dupe : mes parents allaient faire les choses en grand pour mon retour dans la société, mais avant tout pour mon entrée dans le monde. Aujourd’hui, l’excentricité serait de mise.
Sur cette dernière idée, je m’étais rallongée pensive. J’avais beau contenir mon excitation, je trépignais d’impatience -tellement que mon lit grinçait fort et que j’arrêtais presque immédiatement de remuer, de peur de me faire sermonner par la Mère Supérieure. Je m’étais mise à rêver les yeux ouverts à toutes les opportunités qui s’ouvraient à moi, tellement, que je crus que les sœurs n’allaient jamais venir me chercher. Aussi lorsque j’entendis la voix tant attendue de la nonne, je me précipitai devant la porte pieds nus et en chemise de nuit, pour répondre enthousiaste que j’étais prête. Et en effet, elle en eut la preuve en entrant, me voyant sautiller telle une enfant de cinq ans, en l’attente de ses prochaines consignes. Ce comportement immature ne la fit pas rire, mais je lu dans son regard qu’elle s’efforçait de se contenir en ce jour très particulier. Mon sourire, quant à lui, ne fit que s’accroître.
Tous mes effets personnels furent rassemblés en un brouhaha sans nom, un fourmillement de tuniques grises fouillant fébrilement à travers les placards de l’établissement. Soeur Brunehilde n’était vraisemblablement pas la seule à qui j’allais manquer. Ce fait en lui même me surpris : les sœurs n’étaient pas réputées pour démontrer quelque sorte d’affection que ce soit aux pensionnaires. Cette vision que j’avais construite s’écroulait pourtant devant moi, alors que les femmes défilaient devant moi tantôt pour me rapporter mes biens, tantôt pour me souhaiter les meilleurs vœux ainsi que la protection du seigneur. Moi même découvrais-je que j’étais plutôt émue à l’idée de les quitter. Je m’y étais préparée, l’avait toujours désiré ; mais force était d’avouer que toujours les sœurs avaient été bonnes avec moi. Sans doute que certaines me manqueraient lorsque je rentrerais à la maison. Sans doute les oublierais-je rapidement, une fois ma vie reprise. Cela n’avait été après tout qu’une brève coupure dans mon quotidien. J’aurais aimé pouvoir affirmer me souvenir de leurs visages dans quelques années, mais cela aurait témoigné d’un manque d’honnêteté certain. Je profitais ainsi de ce moment pour leur offrir la reconnaissance qui leur était due.
Mère fut la première à arriver, bientôt suivie de tante Gretchen qui ouvrit immédiatement les bras pour m’accueillir.
-Mon enfant, vous êtes resplendissante, affirma-t-elle en me faisant tourner sur moi même jusqu’à en avoir le tournis.
Polie, je l’en remerciais, tout en gardant un œil sur Mère, qui me suivait du regard avec la tendresse qu’ont les parents envers leurs enfants. Nous ne nous dîmes rien ce matin là, nous n’en avions pas besoin : enfin nous nous étions retrouvées.
La calèche nous attendait au dehors, aussi les sœurs firent au plus vite pour m’aider à enfiler une tenue correcte. Comme prévu, Mère m’avait apporté un paquet, enroulé dans du tissu brillant. A ce moment là je dus me rappeler être une lady, et qu’il serait tout à fait hors de propos de déchirer l’emballage pour découvrir quel trésor il renfermait. Aussi demandais-je à ce que l’on m’apporte de quoi le découper, et le fit faire par l’une des religieuses. La parure était tout bonnement splendide, mais de quelque peu trop serrée. Mère me fit la remarque, et je me promis de manger moins encore au dîner que les portions offertes au couvent. L’idée ne m’enchantait guère, mais le résultat serait satisfaisant. Les chevaux ne se plaignirent pas néanmoins de mes kilos en trop. Au contraire, le cocher plaisanta jovialement sur le fait qu’ils étaient plus rapides que jamais à ne supporter que nos poids plume. Cette pensée me rassura : peut-être mon cas n’était-il pas si désespéré que cela.
L’inquiétude qui m’avait tiraillé durant le trajet s’effaça lorsque Père vint me souhaiter la bienvenue dans les jardins. La calèche s’était arrêtée, et j’avais pu entrapercevoir son visage à travers les chênes qui s’étendaient autour de notre résidence. Son premier réflexe fut de me prendre dans ses bras, le second de me complimenter sur mon allure. A la manière de sa sœur, il semblait avoir du mal à croire à ma métamorphose -après tout n’avais-je que six ans à peine lorsque je l’avais quitté, il ne s’attendait certainement pas à ce que mes épaules atteignent les siennes à mon retour. Il rit de la situation, et donna quelques ordres alentour. Autour de nous, mes anciennes dames de chambres se pressaient, se mélangeant aux cuisiniers qui s’apprêtaient à préparer le diner. La route avait été longue, et j’aurais en cet instant tout donné pour faire un détour par ma chambre à coucher avant de les rejoindre. Les questions furent néanmoins nombreuses, et le respect m’imposa de profiter de cette réunion pour conter mon parcours à mes parents. A chaque anecdote, ils parurent impressionnés par ces « exploits », qu’ils disaient, que j’avais pu accomplir. Je me retins de préciser que toutes mes camarades en avaient fait de même, et que tous nos prédécesseurs également. A la place, je leur proposais de partager avec moi les dernières modes, les derniers ragots qui circulaient parmi les gens respectables. La soirée s’acheva lorsque Mère, à bout de souffle, finit de me raconter les aventures de cette chère Dame Gertrude, qui ne cessait de se montrer portant des coiffures fantasques aux réceptions. Je me fichais bien de son allure, mais ma génitrice semblait y accorder une importance toute particulière ; je fis donc l’effort de l’écouter jusqu’au bout, et ce sans bailler, ce qui à ce niveau de conversation relevait d’un véritable miracle. Je lui souhaitais alors une bonne nuit et m’en allais rejoindre mes appartements, afin de m’y reposer. La journée avait été un rêve éveillé, mes yeux ne demandaient à présent qu’à se fermer. Je m’endormis d’un sommeil lourd et profond, plus heureuse que je ne l’avais jamais été.
Chapitre 2 : Bal de printemps
Le bal de printemps était l’occasion rêvée pour faire mon entrée dans le monde. Participant à l’organisation de celui-ci depuis des années, Mère ne doutait pas que c’était là le moment parfait pour me faire connaître à nos amis. Cela faisait plusieurs jours déjà nous entendions les clameurs des nobles alentours à l’idée de cet événement, se mélangeant ci et là aux questions indiscrètes qui se posaient à mon sujet. J’avais beau avoir été interdite de sortie jusqu’au moment fatidique, j’avais reçu nombres de courriers durant les quelques semaines précédent les festivités, et Père, des demandes de correspondances de la part de gentilshommes. Évidemment, celles-ci avaient toutes été refusées, ce qui n’avait fait qu’ajouter au mystère de mon apparition. Les habitants de la ville se demandaient qui j’étais, et ce que je pouvais avoir de si particulier pour que cela reste secret. En cela, je ne pouvais pas leur en vouloir : moi aussi, je me posais la question.
Mère m’avait assuré que tel était le secret d’une entrée remarquée dans la société, et je l’avais crue. Aussi ne prétendis-je pas à parcourir les traces de mon enfance qui me paraissait déjà si lointaine, et continuais à me perfectionner dans les arts qui m’avaient été inculqués. Mes broderies étaient médiocres, mes lettres tout juste passable. La musique en revanche avait toujours été mon domaine de prédilection, et je prenais plaisir à pratiquer de nouveau le chant auprès de mon maître de musique. Un talent inné, qu’il disait. Une voix angélique. Et cela suffisait à faire mon bonheur.
Tante Gretchen était la seule personne à laquelle l’on m’avait autorisé d’écrire, aussi eut-elle régulièrement de mes nouvelles. A la manière des amis de Père et Mère, elle avait hâte de me découvrir dans mes plus beau atours lors de cette fête réputée à travers la Cour. Elle m’indiqua le noms des personnes importantes qui seraient présentes, et mon estomac se noua à l’idée de faire face à tant de monde pour la première fois. Certes, les pensionnaires étaient nombreuses au couvent, mais jamais l’attention ne s’était autant portée sur moi, et j’ignorais si j’étais capable de faire honneur à cette réputation que l’on m’avait construite. Après tout n’étais-je encore qu’une enfant ; et c’était ainsi que je me sentais à l’intérieur. A cette idée, Mère s’empressa d’effacer mes inquiétudes :
« Vous êtes belle et douce mon enfant, vous gagnez l’affection de tous »
N’ayant d’autre choix que de lui accorder ma confiance, je l’avais cru, et alors que nous nous apprêtions à monter en calèche pour rejoindre les invités déjà présent, j’étais partie le cœur serin. La première chose que je vis, lorsque le cocher finalement s’arrêta, fut une masse colorée agglutinée sur la terrasse d’une propriété sobre, mais néanmoins imposante. Un second regard me permit de distinguer des visages parmi la foule compacte -comme je m’y étais attendu malheureusement, aucun ne m’était familier. Je m’avançais alors à la suite de Mère, assez proche pour ne point la perde de vue, comme si ma vie en dépendait. J’étais effrayée, intimidée par les centaines de têtes blondes et brunes qui se tournaient en ce moment même dans ma direction.
-Cesse donc de regarder tes pieds veux-tu, me dicta Mère. Le dos droit, la tête haute, le menton relevé.
Et obéissante, je suivais ses instruction.
Ce jour là, un nombre incalculable de personnes me furent présentées -tellement que ce ne serait que mentir d’affirmer que j’en retenu plus de dix. Je tentais pourtant de satisfaire de mon mieux tout un chacun : un geste de main par-ci, des salutations par là ; quelques danses. Celles-ci, sur ordre de Mère, n’étaient réservées qu’aux privilégiés qu’elle avait préalablement sélectionnés. Tous étaient bel homme, de riches héritiers à la réputation impeccable. Je n’étais pas dupe. Aussi ne m’étais-je fait aucune illusion en passant la porte ce soir, pas plus que lorsque ma génitrice avait mandé la couturière alentour la plus performante pour donner naissance à une robe d’une beauté incontestable. On voulait me marier, et au plus vite. Aussi fis-je en sorte de répondre aux attentes de ma famille en me montrant des plus agréables auprès de ces jeunes nobles à l’allure respectable. Tous furent aux petits soins avec moi, certains même m’offrirent des roses à accrocher dans mon chignon relevé. Je les en remerciais, et ne les quittais avec un sourire comblé que plus tard dans la soirée, alors que la convenance indiquait aux dames de se rendre dans les appartements de la duchesse pour échanger, tandis que les hommes s’en allaient fumer. J’avais perdu Mère de vue à la première danse acceptée, si bien que je du suivre le mouvement de la foule afin de ne point me perdre à travers les couloirs sans fin de la résidence. Je ne fus certaine de ma destination que lorsque j’entendis la musique s’alourdir, et les violons vriller mes tympans. Mettant de côté mon propre confort au profit des règles de vie, je rejoignis les invitées dans le petit salon où bavardes et expansives, elles s’étaient installées sur des chaises de velours, face à la cheminée.
Moi qui pensait avoir été aussi discrète que faire se peut, je me rendis compte qu’un cercle était en train de se former autour de moi, dirigé par nul autre que ma propre tante, bien décidée à me présenter officiellement.
-Demoiselle Loreleï Von Eckstein, ma nièce, précisait-elle en m’adressant un regard encourageant dont je ne compris le sens que trop tard. Suite à un lourd silence, j’en déduis que l’on attendait de moi quelque sorte de discours, une phrase, ne serais-ce qu’un mot. Paniquée et en panne d’inspiration, je m’efforçais de parvenir à des paroles qui ne me couvriraient pas de ridicule. J’avais saisi l’importance de cet instant décisif qui déterminerait l’image que l’on retiendrait de moi.
-Votre servante, ma duchesse, fut tout ce qui me vint à l’esprit, alors que je m’adressais à la maîtresse de ces lieux, malgré le fait que je ne lui eut jamais adressé un mot auparavant. Au fond de moi m’étais-je dit que cela ne pourrait être quelque chose de reprochable.
A mon plus grand soulagement, cette dernière s’empressa de s’avancer vers moi en coupant la foule de curieux pour me saisir doucement la main.
-Madame, votre fille est époustouflante. Un ange tombé du ciel ! Commenta-t-elle tandis que mes joues se teintaient de rose.
Si elle n’avait pas pris la peine de croiser le regard de celle-ci, ses compagnes le firent pour elle. Lorsqu’elle reprit la parole, ce fut néanmoins vers moi que les yeux revinrent.
-Lady Von Eckstein, me ferez vous l’honneur d’ouvrir les festivités ?
Mon cerveau s’arrêta un instant sur ses paroles, dubitatif -n’avaient-t-elle pas déjà débuté ?
Cependant, l’instinct eut raison de moi, et je hochais la tête, docile. Je me devais d’accéder à sa requête, quelle qu’elle fut.
-Votre mère nous a conté que vous aviez un don pour le chant ? Pourquoi ne nous feriez vous pas profiter de votre talent ?
Ainsi fus-je amenée avec le piano et le musicien dans la salle principale encore vide -dieu soit loué. Il me posa quelques questions techniques auxquelles je ne pus répondre, avant de se résigner à mon ignorance en se contentant finalement de la tonalité. On m’interrogea sur mon choix de chanson, alors le musicien compta jusqu’à trois, commença à jouer. Et je chantais. Mes doigts étaient broyés par mes mains tremblantes, mon estomac noué par la peur, et ma gorge sèche, tellement sèche que j’eus un instant la peur effroyable qu’aucun son n’en sorte. La mélodie pourtant eu raison de ma frayeur, résonnant à travers la pièce.
A mesure que nous progressions dans notre performance, des corps supplémentaires s’avancèrent, et des groupes diverses se formèrent face à moi. Parmi eux, des visages. Sur ces visages, des regards. Son regard.
Chapitre 3 : Pique nique entre amis.
Jamais je n’avais attendu avec tant d’impatience le moment de quitter mon domicile. A peine Père avait-il annoncé que nous étions sur le point de partir que je m’étais précipitée dans les escaliers afin de presser moi même le personnel de maison, occupés à charger nos affaires dans la voiture. Dans cette entreprise, je prenais garde à ne point abîmer ma robe, et la soulevait délicatement de façon à ce qu’elle ne touche le sol en aucun cas -je devais être présentable. J’étais cependant la seule à désirer partir à l’heure, mes parents visiblement trop occupés à donner les dernières consignes au personnel pour se rendre compte que l’horloge avait sonné quatorze heures. Je fus tout de même assez sage pour ne point leur en faire la remarque, et patientait comme je le pouvais en piétinant et déambulant dans les jardins, tout en m’interrogeant une fois de plus sur ma tenue bien trop sobre à côté de ce que j’avais pu apercevoir des autres femmes lors du bal.
Cette invitation avait été des plus réjouissantes, malgré sa prévisibilité, selon Mère. Elle s’attendait en effet à ce que l’on veuille me revoir en comité restreint, et je n’avais pas le coeur de m’en plaindre. Une partie de moi s’en trouvait rassurée -cela signifiait que j’avais plu- l’autre se fichait éperdument de mon succès -tout ce qu’elle voulait, c’était le revoir. Lui, le gentilhomme dont j’avais croisé le regard au bal, avec qui je n’eus la chance de danser. Sans doute n’aurait-il pas refusé, pour peu que je l’y invite, mais cela n’était pas une chose de femme ; j’avais donc rejoins mes compagnes sur les bancs entourant la salle de danse, sans néanmoins parvenir à détacher mon regard. De toute la soirée je n’eus l’occasion de m’avancer vers lui pour me présenter, à ma plus grande frustration. Ma seule consolation fut mon interlocutrice, qui charmante et attentionnée, ne cessait de m’apporter gâteaux en friandises tandis qu’elle me contait les aventures de ses enfants. Je n’avais eu le cœur de l’interrompre, et découvris à ma plus grande surprise un intérêt particulier pour ses récits invraisemblables. Je doutais qu’aucun soit vrai, cela ne m’empêchait pas de les apprécier, et de l’inciter à les continuer ; si bien que lorsque sonna onze heures, le bruit me fit sursauter et m’interroger sur le temps que j’avais pu passer en sa compagnie. Fidèle aux consignes données par mes parents, j’avais pris congé à contrecœur, et promis de lui écrire souvent. Malgré cela, jamais je n’aurais pu penser qu’une invitation arriverait à mon nom moins d’une semaine plus tard.
Il était bien mal vu pour une jeune fille de mon âge de se présenter seule aux portes de son hôte, aussi Père fut-il chargé de me conduire jusqu’à Dame Constance. Son bras autour du mien, il me répétait les sempiternelles règles de convenances depuis bien longtemps mémorisées. Son attention à mon égard m’émut cependant, et je l’en remerciais d’un sourire sincère, avant de le quitter, non sans l’avoir embrassé une dernière fois. Ma vieille amie prit ensuite le relais en me guidant à travers ses jardins, pour me conduire vers un espace verdoyant entourant une rivière. A cette vue, je ne pus m’empêcher de retenir un hoquet de surprise, qui sembla amuser ma compagne.
-Installez-vous donc près de Lady Brandt, la gentille demoiselle assise sous l’érable. Je ne tarderais pas à vous rejoindre.
Aussi m’asseyais-je timidement à ses côtés, me présentant, comme le voulait la convenance à ladite jeune femme de quelques années plus jeune que moi. Son sourire pétillant à mon arrivée me laissa néanmoins supposer qu’elle serait bien plus encline que moi à engager la conversation, ce en quoi je lui étais reconnaissante. Mon esprit était bien trop troublé par l’idée que quelque part au sein de ce parc, le gentleman que je rêvais tant de retrouver se cachait peut-être. Aussi se chargea-t-elle en grande partie d’animer notre discussion, tandis que je me concentrais sur une tache mécanique qui ne nécessitait pas de réflexion particulière : le service à thé.
Consciencieuse, j’en avais poliment proposé une tasse à toutes les personnes qui entouraient notre parcelle de terrain, et m’apprétais à nous servir toutes deux lorsque je vis sa tasse disparaître, saisie par une énorme main qui n’aurait pu pour rien au monde être celle de la douce dame Brandt.
-Mesdemoiselles, bonjour, salua une voix d’homme. Désarçonnée, j’eus un mouvement de recul qui me fit presque lâcher la théière pour peu que le jeune homme n’eut pensé à me soutenir de sa main libre.
-Félicitations mon Frère, vous avez effrayé ma nouvelle amie ! Le réprimanda la jeune femme. Mais cela, je ne l’entendis que de très loin, perturbée que j’étais face au spectacle qui se déroulait face à moi. Mon prince me faisant face, sa main enroulée autour de mon bras. A ce bref contact physique je m’empourprais, déviant volontairement le regard sur tout autre être humain que celui qui se trouvait face à moi. Immédiatement, il desserra sa prise ; et tout aussi rapidement, je ramenais ma main vers moi, ne sachant que dire ou faire.
-Monsieur je vous remercie, répondis-je d’une voix fébrile.
-Quant à moi je vous implore de me pardonner. Mon intention n’était pas de vous faire peur, s’excusa-t-il, visiblement aussi désorienté que moi face à cette situation cocasse.
-Mais voilà que je me couvre de ridicule, ajouta-t-il tandis que je cherchais mes mots. Quelle rencontre improbable ! M’accorderiez vous une chance de me faire pardonner en vous proposant une promenade à travers le parc ?
A ses mots, je ne me sentis plus de joie. Sans doute si je n’avais eu un tant soit peu d’éducation me serais-ce empressée d’accepter, mais la bienséance me faisait douter de la moralité de la chose -après tout étais-je l’invitée de Dame Constance, il aurait été bien impoli de lui fausser compagnie. Préoccupée par cette possibilité, je lui fit part de mes hésitations.
-Grand Tante n’y verra aucun inconvénient, confirma-t-il en un sourire rassurant. Si vous me permettez, mademoiselle.
Il me tendit son bras, et sur un dernier regard désolé adressé à ma précédente interlocutrice que nous nous apprêtions à abandonner seule face à son panier pique nique, s’en fut décidé. Galant, il ne s’approcha pas plus que la décence autorisait, et se fit une mission de me faire découvrir les immenses jardins fleuris de Dame Constance. De chaque plantation, il m’indiquait le nom ; Chaque fleur, il se proposait de me l’offrir. De peur qu’il ne s’attire des ennuis auprès de sa famille, je refusais chaque fois -mais mes protestation furent inutiles face à son obstination, et je repartais avec une fleur accrochée à mon bracelet, une fleur à la couleur de ses yeux. Lorsque l’étendue entière fut parcourue, il me proposa de nous asseoir à l’ombre d’un pommier. Sans trop y réfléchir, j’acceptais.
Aucun de nous ne savait quoi dire à l’inconnu que nous étions l’un pour l’autre. Aussi un silence embarrassé s’installa, jusqu’à ce que mon prince ne se décide à le briser, en tentant à sa manière une tentative d’approche.
-Vous chantiez, au bal de printemps, n’est-ce pas ?
Il m’avait aperçue, j’en étais certaine. Je ne relevais pas cependant, et profitais de cette amorce pour renchérir.
-Malheureusement j’y ait été forcée, souris-je sans pouvoir m’en empêcher, en captant son regard moqueur.
-Et nous avons été forcés de vous écoutez, qui plaindre ? Se moqua-t-il.
Je le repoussais en riant. Il me rapprocha de lui un sourire aux lèvres.
S’en fut décidé.
Serments d'amoureux.
~en cours
Douce solitude.
~en cours
Feuille morte.
~en cours
La vie après la mort.
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Des monstres marins.
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Sacrifice ultime.
~en cours
En-cas de chagrin .
~en cours
Retour de flamme.
~en cours
© Méphi.